Fidèle – Portrait de Jean Eichenlaub, Président de Qualium Investissement

Jean Eichenlaub peut remercier la crise immobilière de 1994. Car sans elle, il n’aurait sans doute pas eu la moindre raison de dévier de sa carrière de jeune ingénieur pour reprendre ses études et se spécialiser au MIT sur la modélisation des outils décisionnels appliqués au financement de projets aéroportuaires. Or, sans retourner sur les bancs de l’école, pas de Commerzbank. Et sans Commerzbank, pas de Fonds Partenaires ni d’European Capital et encore moins de groupe Caisse des Dépôts (CDC). La crise immobilière a donc fait de Jean Eichenlaub ce qu’il est aujourd’hui, à 46 ans : le président de Qualium Investissement, la filiale de capital transmission majoritaire de la CDC qui gère plus d’un milliard d’euros et un portefeuille de 12 participations représentant, en cumulé, près de 4 milliards d’euros de chiffre d’affaires et plus de 35.000 salariés.

Décontracté, maître de lui-même, volontiers séducteur, Jean Eichenlaub pourrait laisser croire qu’il est né ‘‘financier’’. C’est pourtant tout le contraire. Le quadragénaire a beau s’être mué au fil des années en un investisseur qui compte sur la place de Paris, cet Alsacien revendique un attachement sans faille à ses racines à la fois provinciales et familiales. ‘‘Quand je rentre chez moi, mes amis passent me chercher à la gare, c’est surprenant en y pensant mais c’est une vieille tradition entre nous’’, confie-t-il au moment d’évoquer ses origines. ‘‘Je travaille d’ailleurs souvent avec les mêmes personnes depuis 15 ans et ne compte que peu d’amis dans le milieu’’.

Retour au début des années 90. ‘‘J’ai commencé comme ingénieur chez Bovis SAE (devenu Eiffage) où j’ai eu la chance de travailler sur deux projets importants de l’époque : les Docklands de Canary Wharf à Londres et le Village Olympique de Barcelone’’, raconte-t-il. Au travers de cette expérience de terrain, Jean Eichenlaub y développe ses deux points forts : une capacité à coordonner & exécuter des projets complexes et la maîtrise des chiffres, l’un de ses ‘‘dadas’’, ses autres passions, en dehors de sa famille, étant le football (demandez à son équipe ….) et… la Russie & son histoire. Mais la crise immobilière de 1994, donc, passe par là. Deux ans plus tard et un passage au MIT, Jean Eichenlaub change de monde en intégrant la Commerzbank, où ‘‘il apprend vraiment le métier de la finance et l’analyse des risques associés’’. Son business model : le rachat de créances immobilières douteuses pour le compte de Whitehall, le fonds de Goldman Sachs. ‘‘C’était l’époque des montages structurés basés sur la modélisation et les formules mathématiques. Pour moi qui ai toujours eu le goût du calcul, c’était le job idéal’’. Jean Eichenlaub se fait ainsi repérer et intègre Fonds Partenaires, le fonds de Lazard, où il gravit rapidement les échelons sous la houlette de Gilles Etrillard et Jérôme Balladur, les associés gérants. ‘‘Aucune limite ne m’était posée dans le développement du business. Le carnet d’adresses de la banque m’était totalement ouvert. J’ai donc pu appeler toute la place et cibler les personnes capables de sourcer des deals. Mon retard s’est comblé en quelques mois et, par chance, les investissements ont suivi’’. Raynal, Titanite, Timotel ou encore Laboratoire des Granions constituent les premières réussites de Jean Eichenlaub. Mais ce sont Docks de Marseille et ID Logistics (qui faisait alors 17 M€ de chiffre d’affaires), deux deals atypiques mais très rentables, qui lanceront définitivement sa carrière.

Ces succès, Jean Eichenlaub ne les bâtit pas seul. Jacques Pancrazi, Alexandra Bigot et Pascal Gagna, notamment, forment alors la charnière centrale de l’équipe qui se constitue chez Fonds Partenaires. Un groupe de fidèles dont un membre l’est sans doute plus qu’aucun autre : Jacques Pancrazi. ‘‘Jacques et moi sommes très complémentaires. Il a plutôt tendance à voir le downside tandis que ma tendance naturelle me pousse plutôt à regarder l’upside. Si nos deux cercles d’analyse ne se croisent pas suffisamment, c’est simple : on ne fait pas le deal.’’ C’est d’ailleurs ce duo qui sera à la manœuvre chez European Capital, la filiale européenne d’American Capital qu’ils ouvrent ensemble en 2005 puis introduisent en bourse en 2007 avant de la quitter en 2009, 9 mois après la chute de Lehman Brothers. ‘‘European Capital, c’est d’abord une équipe dans une période de grands succès avec des investissements en equity et en mezzanine aussi emblématiques qu’Eau Ecarlate, Webhelp ou Seloger.com. Mais c’est aussi un des moments les plus difficiles de ma carrière. En moins de trois mois, tout a été remis en cause par la crise et les difficultés financières de notre maison mère américaine. Nous avons dû retirer European Capital de la cote. Heureusement, les participations françaises étaient saines. C’est pourquoi le fonds est aujourd’hui totalement sorti d’affaire et se porte même très bien, tout comme d’ailleurs son actionnaire américain.’’

Vient alors l’aventure de la CDC. ‘‘Intégrer la Caisse des Dépôts constituait pour moi un immense défi. Le métier était identique, mais l’environnement tellement différent.’’ Si bien qu’après six mois de pourparlers, Jean Eichenlaub décline l’offre qui lui est faite. Jusqu’à ce qu’Augustin de Romanet l’invite un soir et parvienne à le convaincre à l’issue de leur tête à tête. ‘‘Il cherchait un investisseur capable de faire gagner de l’argent à la Caisse http://mushyskin2365.wikidot.com/blog:146 tout en adhérant à ses valeurs et après tout, quel challenge passionnant ! Au début je ne connaissais ni l’équipe, ni l’institution, ni les sociétés sous participation, ni leurs dirigeants. J’ai donc en partie passé les six premiers mois à observer et apprendre.’’ Mais Jean Eichenlaub arrive rapidement à trouver ses marques et confirmer la stratégie, bâtie sur deux axes : lever un fonds ouvert aux tiers en s’appuyant sur quelques souscripteurs de confiance et réaliser des deals en direct, non intermédiés, grâce au réseau de toute l’équipe de Qualium qui avait déjà investi plusieurs centaines de millions d’euros, notamment dans Socotec, deals conduit par leur désormais nouvel acolyte, Paul Costa de Beauregard. ‘’Mon idée était de proposer une vraie différenciation dans la recherche du deal flow. Résultat, sur les 7 sociétés investies depuis 2009 (La FoirFouille, Tournus Equipement, Kermel, Invicta, Sogal, Mériguet et Poult), la moitié a été négociée de gré à gré. Nous avons mis en place une vraie ‘‘machine de guerre’’ dans le sourcing direct. Cela fait d’ailleurs partie des objectifs annuels assignés à chacun des 12 investisseurs de notre équipe’’. Le rapport aux dirigeants des entreprises, Jean Eichenlaub en fait aussi l’une de ses marques de fabrique. ‘‘Je ne suis ni leur coach ni leur gourou : ils connaissent leur métier. En revanche, je suis toujours disponible pour eux et je sais m’adapter à leur mode de fonctionnement. Et en tant qu’actionnaire, je suis là pour leur donner le maximum de moyens humains et financiers’’.

Désormais heureux aux commandes de Qualium, Jean Eichenlaub avoue y avoir fait la découverte de deux mondes qui jusqu’alors lui étaient éloignés : celui de la ‘‘foi publique’’, animée par des personnes capables de se donner sans compter pour le bien commun, et celui des élus, qui font preuve d’un dévouement sans faille pour leurs administrés. Membre du Codir de la Caisse, Jean Eichenlaub explique régulièrement son métier et l’activité de Qualium. N’est-il pas difficile d’être aussi exposé quand on a commencé sa carrière dans un bureau d’étude ? ‘‘Etre actionnaire de référence d’une participation aussi emblématique que Quick peut parfois donner des sueurs froides. Mais j’ai beaucoup appris et cet exercice d’explication m’oblige à être à la fois clair et concis’’, commente-t-il.

Sous des dehors avenants, chaleureux, complices, il ne faut pas s’y tromper : Jean Eichenlaub est un bourreau de travail. Levé tous les jours à 5h30 du matin, parti à 6h15, l’investisseur a passé sa vie à travailler, ne sort que rarement « aux dîners en ville » et consacre ce qui lui reste de temps libre à sa femme, ses trois filles, et ses amis. Deux entraînements de sport hebdomadaires lui procurent sa dose d’anti-stress, car c’est aussi un grand anxieux capable de perdre le sommeil à la veille d’un closing. Mais, avec le temps, il apprend progressivement à déléguer à une équipe dynamique et de plus en plus aguerrie.

Après ces différentes tranches de vie, Jean Eichenlaub serait-il tenté de partir vers de nouvelles aventures ? Impossible à imaginer aujourd’hui pour l’intéressé au vu de son engagement pour Qualium et ses équipes, son ADN n°1. ‘‘J’ai également un devoir vis-à-vis des souscripteurs qui nous ont confié leur argent. Les quitter serait une forme de trahison, même si, depuis toujours, je m’applique ce proverbe qui dit que « les cimetières sont remplis de gens qui se croyaient indispensables… ».’’ BTP, finance, service public. Malgré la variété du parcours, voilà pourtant un qualificatif qui se détache au moment de définir Jean Eichenlaub : fidèle.